Le Zaï
Reverdir naturellement le désert
Le soir du 24 juin 2017
C’est en 1970 que Yacouba Sawadogo a entamé le reverdissement du désert. Âgé à l’époque de 40 ans, cet ancien commerçant de pièces détachées de motos au grand marché de Ouahigouya se lance dans l’agriculture. Objectif : reverdir la terre dégradée et aride dans son village. Quarante ans après, ce pari fou est gagné et sa technique a révolutionné le monde agricole. l’economiste du fas.
Confrontée depuis quelques décennies à une baisse constante de la pluviométrie, couplée d’une forte pression démographique, la région du Nord du Burkina Faso subit une dégradation progressive de l’environnement et une régression des rendements agricoles. Selon les données de l’Observatoire national de l’environnement et du développement durable (ONEDD), en juin 2011, la région constituait l’une des trois zones où la dégradation des sols était la plus forte, avec un indice de 3,1 sur 5, et le rythme de dégradation des terres est élevé. Notons que, toujours selon l’ONEDD, en juin 2013, 74,1 % des 273.828 km² de superficie que compte le pays sont des terres affectées par la désertification, la dégradation des terres et la sécheresse.
Comment cette zone peut-elle abriter une forêt ?
L’œuvre est de Yacouba Sawadogo, 80 ans, connu comme « l’homme qui arrêta le désert ». Pour cette tâche herculéenne, il a trouvé une idée innovante : le « zaï ». D’où lui est venue cette technique ? Pour M. Sawadogo, c’est en apprenant de la terre. « A la fin des années 1960, des prédicateurs ont annoncé que nous ferions face à une sécheresse sans pareille dans notre localité. Face à ce malheur annoncé, j’ai décidé de laisser tomber mon commerce de pièces détachées afin de me mettre à l’agriculture. Afin de comprendre comment la nature se régénère, j’ai mis deux ans à sillonner les terres de mon village, souvent à pied, souvent à cheval.»
C’est au bout de ces deux ans de « communion » avec la terre que lui est venue l’idée du « zaï », une technique qui consiste à préparer le sol en saison sèche. Pour ce faire, il y creuse de petits trous, les remplit de débris organiques. Ces débris à leur tour attirent les termites, naturellement présentes dans cet environnement. En s’installant dans les petites cavités, les termites creusent des galeries, ce qui permet de retenir l’eau de pluie lors de la saison des pluies. Il ne reste plus qu’à semer les graines.
Mais l’innovation ne s’arrête pas là. Au fil des saisons, Yacouba Sawadogo est passé maître dans la technique du zaï. C’est désormais de la matière organique composée de compost ou de fumier associé à des tiges de mil concassé qu’il met dans ses petits trous. En plus des graines pour son champ, il y ajoute des graines d’arbres.
Le coup de poker devient un véritable coup de maître. La petite expérience de Yacouba se transforme peu à peu. En bordure de son champ s’érige désormais une forêt. Elle s’étend sur 25 à 27 hectares, selon des estimations GPS. Celle-ci attire de nombreux oiseaux qui rapportent à leur tour de nouvelles graines et contribuent à la diversification faunique. C’est ainsi qu’on y retrouve des espèces végétales locales courantes. « J’ai entrepris de semer des graines d’arbres qui avaient disparu de la région. Des experts viennent de la capitale afin d’étudier ces arbres aujourd’hui présents », annonce avec fierté Yacouba Sawadogo.
Les animaux ne sont pas en reste. Au fil de la promenade dans cette forêt, on remarque des petits canaris déposés çà et là. Il s’agit en fait d’abreuvoirs pour oiseaux, rongeurs, reptiles et autres lièvres que la forêt abrite. Un véritable écosystème au milieu de cet espace aride.
La forêt de Gourga menacée
Afin de pérenniser cet acquis, M. Sawadogo décide de partager sa technique autour de lui. Ainsi est créée dans son village natal, à Gourga (4 km à l’Ouest de Ouahigouya), une mini-foire « marché zaï ». Une manifestation qui a connu la présence de producteurs venus des quatre coins du pays. Y sont présentées des variétés et des outils adaptés au zaï, et des échanges sont organisés sur des thématiques et des innovations en matière de production agricole, mais aussi sylvo-pastorale. Une initiative qui a abouti à la création de « l’Association des groupements Zaï pour le développement du Sahel ».
Cependant une menace plane sur cette réserve. « Aujourd’hui, je lance un cri du cœur aux autorités de ce pays. Le lotissement est en train de détruire cet écosystème » , déplore M. Sawadogo. Depuis quelques années, la ville a rejoint le village de Gourga et l’urbanisation a atteint la forêt. Des parcelles à usage d’habitation ont été découpées à l’intérieur de la forêt et les travaux de construction de certaines ont débuté. Une calamité selon l’innovateur qui espère être entendu des autorités.