Lettre de Guy à Rico
le 10 décembre 1914

Guy à Cheval
Itinéraire probable évoqué par Guy dans cette lettre
Rico en 1914
Bergues 1914

Retranscription du texte original :

Ce 10 décembre

Mon cher Rico

Il n’est que 3 heures et demie et le jour baisse déjà … Cette après-midi est on ne peut plus spleenatique et sombre, venteuse, pluvieuse. J’aurai grand plaisir à causer avec toi. Puisque je ne puis le faire, je t’écris. Tache de me répondre. Nos lettres sont comme quelques instants du passé dans le présent désastreux quelques instants de ce qu’à certains jours on désespère de retrouver jamais. Et pourtant il est certain que la fin de la guerre arrivera un jour, qu’elle n’est qu’un cauchemar contre lequel on se débattrait vraiment et qui durerait des mois.

Point de nouvelles ici si ce n’est que ma pauvre petite voiture bien usée déjà a eu hier un accroc plus significatif, comme un râle. Une chaine à cassé! Elle devra probablement partir pour Calais. Je l’ai dépouillée ce matin avec tristesse. Il est incroyable comme on s’attache aux choses qui vous voient vivre.

Puisque tu accuses mes lettres de banalité je te transcrirai simplement mon journal des ces derniers jours. Si cela ne te contente pas je serai vraiment à bout de moyens.

18 Nov. Bray-Dunes

La mer d’un vert intense sous le soleil et et nettement profilée sur le ciel clair lançant ses vagues. Elles s’envolent en un bouillonnement d’écume qui assaillait la digue et vaincu, épuisé se retirait lentement. L’atmosphère était net et lumineux jusqu’aux extrêmes lointains. Sur le bleu du ciel une mouette planait immobile avec seulement de temps à autre une ondulation de ses ailes molles.

20 Nov. Bergues

Sur cette petite ville médiévale et flamande avec son beffroi, son donjon, ses clochers, sa ceinture de glacis à la Vauban et ses portes à pont-levis. Le soleil d’hiver verse ses rayons dorés et obliques de quatre heures et un halo de lumière roussi entre l’orfèvrerie des tours. La neige gondole sur les tuiles des vieux toits provinciaux.

29 Nov. Téteghem

La journée s’écoulent monotones et uniformes, les mêmes heures me ramènent toujours aux mêmes endroits et l’horizon est plat désespérément, et les campagnes grasses sont tendues d’eau.

Alors parfois il me prend la nostalgie de ma vie passée, de certains moments de cette vie fermant les yeux délicieusement je me rêvais en visite croquant un marron glacé ou le soir dans ma chambre lisant au lit la lumière intime tombant d’un abat-jour …

J’ai su qu’on était un dimanche en voyant la casquette neuve des paysans.

30 Nov.

Les lointains horizons d’ici ont comme ce de Hollande, le mouvement de leurs moulins et l’immobilité pensive des clochers inamovibles.

8 déc.

Sur l’eau d’un bleu d’acier flottent les mouettes blanches oscillant au gré des flots courts et pressés.

Voilà. J’attends la tienne, nous verrons !

Toujours pas de nouvelles de Maman.

Voila mon adresse : Colonne automobile des vivres / Corps de transports / 4e D.A.

Tout à toi et porte toi bien

Guy

Bray-Dunes à l'époque