Brouillon de lettre de Rico à Guy
daté du 20 février 1915

Rico en 1914
Sentinelle à Noordschoote
Guy à Cheval
Tranchées
Inondations

Retranscription du texte original :

Brouillon de lettre destinée à Guy. J’ai complété un peu la ponctuation et si j’ai corrigé l’orthographe c’est par reflexe. J’ai ajouté de temps à autre un interligne.

…berg
24 fév 1915

Mon cher Guy

J’ai reçu ta dernière carte, la photo est très bien. Il doit y avoir quand même moyen de changer ta vie qui doit être fort triste, recommande toi de divers cotés il y a des occasions, en cherchant on trouve. Antoine a je crois l’intention de revenir mais ici notre vie a aussi ses ennuis.
J’ai eu fini il y a 2 jours, 4 jours de tranchées vraiment peu agréable à cause du temps. Nos tranchées déjà assez vieilles coulent et cela est terrible, on est trempé sous terre, l’eau nous tombe et nos couvertures s’imbibent d’eau. J’avais demandé d’aller au « Poste aquatique » c’est le nom qu’on donne à l’avant-poste le plus avancé. On y va en barquette. C’est une tranchée au bord de l’Yperlei sur une petite lagune large de 12 m. longue de 30 à 400 mêtre des Boches disait-on.
J’y allais avec 9 hommes. Je suis donc parti à la tombée de la nuit avec mes hommes. Le pionnier (?) manoeuvrait comme un gondolier, on glissait silencieux, côtoyant des arbres et des fermes brulées au milieu d’une mer tranquille. On nous débarqua puis pour gagner la tranchée j’ai dû traverser une boue informe et marcher dans l’eau jusque mis jambe – c’est la pure vérité – là pas moyen de se coucher. On me dit aussi les Boches à 250 m. Je veille une partie de la nuit. J’y étais venu pour voir si ce qu’on racontait était exacte; puis pour ressentir un peu cela en pensant à toi et enfin aussi pour dire que j’y avais été. La nuit calme, l’eau miroitante qui environne, des ombres suspectes dans la nuit. Les fusées allemandes qui comme des feux d’artifice s’élèvent, papillonnent et retombent sur les eaux et expirent en jetant des lueurs d’exhalaison. On est là tout seul en avant et l’on prête l’oreille dans le silence, le froid se glisse sous vos vêtements des bruits confus courent sur l’horizon.
Le jour s’est levé il pleut je suis dans notre infecte abris, vers 11 heures je sors, une mer nous environne. C’est splendide. Mais à 250 mètres pas d’allemands, à 400 mètres non plus, à 800 mètres je vois des maisons en ruines et à la jumelle je distingue des tranchées. Tu vois les exagérations.
Vers deux heures le soleil paru l’eau était bleue comme le ciel. Les allemands commencent le tir au canon. Les obus passent bien au-dessus de nous avec un puissant sifflement qui s’accentue, diminue et termine par un éclatement derrière nous à 1.500 mètres des gerbes d’eau s’élèvent à hauteur des arbres ou la terre de la digue se projette à 15 mètres de hauteur …
Les coups se suivent toutes les 2 minutes et l’on parvient à situer les batteries allemandes. Il y en a une là-bas derrière une ferme. Au loin on tire aussi et le sifflement se change en un grondement de train en marche et se termine dans le bruit sourd d’une collision, ce sont les obusiers. Les obus passent toujours menaçant dans un ronflement sinistre.
Vers 4 heures tout se tait. La nuit tombe le vent souffle froid et continu. Les fusées par moment réapparaissent. A 8 heures on devait venir nous relever mais le temps passe nous désespérons impuissants sur notre ilot sinistre la nuit est noire, nous sommes gelés. Ce n’est que vers 5 heures du matin que l’on vint, nous étions fourbus, depuis on ne nous a pas remplacés. Voilà une journée d’avant-poste. Je préfèrerais la Comedie (?).
Je repars dans une heure et je voulais t’écrire avant. Je ne demanderai plus le 3 ème poste, j’en ai gouté la poésie, je n’y ai pas trouvé d’émotion et puis j’y ai été maintenant ( du reste il n’y a pas à s’en vanter) j’ai encore une fois vu Edouard et Jacques Burnel

Tranchées
Inondations