Lettre de Guy à Rico
le 24 juin 1919
Retranscription du texte original :
24 juin 1919
Mon cher Rico
Je relis ta lettre, comme je l’ai lue, avec plaisir. Tu dénigres ton goût pour la nature disant qu’il est fait d’illusion. Tu entends par là que l’imagination y participe. Mais l’imagination est l’ouvrière de tous nos plaisirs et surtout de nos plus grands. Même si nos plaisirs les plus matériels lui échappent, ce n’est que dans ce moment même de ce plaisir car son attente es son souvenir sont joies d’imagination.
Je doute fort qu’on puisse à son gré changer les meubles de sa maison, c’est à dire nos idées. Nos idées sont plutôt immeubles. Nos idées c’est nous. c’est une sécrétion de notre Vie. Elles évoluent avec elle. Pour toi tu aurais tort de jeter les tiennes par la fenêtre, car telles quelles elles étaient très bien, un peu encombrantes peut être, puisqu’il s’agit de meubles, mais très bien.
Voici mon journal qui déjà s’éclaircit :
14 juin
J’ai dîné à Schevenningen dans un restaurant qui domine la mer. Le soleil lentement et comme à regret descendait dans la flotte. Il y a plongé. Il y a disparu, laissant derrière lui le ciel si pur qu’on sentait que des étoiles allaient fleurir. La lune s’est levée derrière des villas, une lune rare, couleur de safran, couleur d’ambre, couleur de miel. Je me suis cru dans un conte d’Oscar Wilde.
15 juin
Harlem
Les Frans Hals, sans doute -Décrit ce cadre de vieil hospice dans le goût de la renaissance flamande, la douce tranquillité de cette cour intérieure, de ces corridors vides. Où donc est le monde avec son agitation vaine. J’ai jugé les moines définitivement sans penser jamais qu’en faisant les cents pas sous leur cloître, autour de leur préau plein de silence et de soleil, ils me jugeaient aussi définitivement.
16 juin
Ce soir le Vyver était si calme et si uni que les canards y laissaient derrière eux un long sillage.
23 juin
J’ai vu deux grands cygnes sur le Vyver au pied des murs derrière lesquels depuis des siècles s’élabore la chose publique hollandaise. Ils savaient leur importance .
24 Juin
Un ami m’a dit aujourd’hui : « La diplomatie mais c’est le métier le plus pantoufle, le plus bourgeois qui soit. » Et le diable c’est qu’il a raison. Tant mieux.
Mille choses mon bon Rico, ne manque pas de m’écrire.
La paix aussi. « Dire qu’elle reviendra un jour« écrivai-je dans mon journal en novembre 14. Oui un jour très ordinaire.
Guy