Lettre de Guy à Rico
le 7 mai 1919

Retranscription du texte original :

Ce 7 mai (19)

Mon cher Rico,
je voudrais t’écrire une lettre sérieuse en réponse à la tienne si consistante et le genre de vie que je mène, la vie mondaine à laquelle je m’abandonne complètement, ne me laissant littéralement pas le temps de réfléchir, me faisant vivre dans une sorte de rêve rapide – rêve parce qu’on y assiste en témoin impuissant à  en diriger le cours – me rend la chose presque impossible. Je m’abandonne, c’est la seule façon de s’y amuser.  Je l’ai trouvée et m’y amuse. Je n’en suis d’ailleurs pas plus fier. Mais je me dis que c’est une nécessité et si je suis total dans cet abandon je reste très mesuré quant à la durée de cet abandon auquel je n’accorde pas plus d’un mois. Je reprendrai alors mon travail littéraire que j’ai quitté et qui me procure un plaisir de meilleur aloi.

Mais pour toi, mon cher Rico, qui vit dans la solitude je regrette de ne pouvoir apporter quelque nourriture substantielle. Je ne puis t’apporter que ce que le monde me fournit et qui est de cette qualité ci.

J’ai été entendre « Phi Phi » un Vaudeville très raide avec deux mères de famille (Rosée – Lemmay (?)) que l’idée seule d’entendre quelque chose qui n’était pas de famille rendait toutes guillerettes.

Au plaisir de mener des femmes du monde à des opérettes rosses j’ai joins hier soir celui de mener des jeunes filles souper après théâtre dans un presque Café de minuit (La Royale). Toute la bande y était et jusqu’à maitre (?) de Wouters. Très gai. Saumon,  viande froide, fraises et champagne à flots – orchestre. Les jeunes filles aiment bien le champagne qui ne les aime pas ou plutôt qui a sa façon à lui de les aimer. Tu t’en doutes. On en a entendu de toutes les couleurs jusque 2 heures passées. Il a bien fallu partir aussi l’orchestre ayant lâché sur le coup de deux heures. Un bon point pour Jean du Roy l’organisateur de la fête. Mais j’attends l’addition avec angoisse.

Songe aux moyens de venir à fixe à Bruxelles. Rapporte mois quelques cigarettes le 13.

Je suis tout à toi

Guy