Lettre de Guy à Rico
Le 1er mai 1918
Retranscription du texte original :
Ce 1er mai ̶1̶9̶1̶7̶ 1918
Mon cher Rico
Je conserve précieusement ta lettre où je trouve quelque chose de cette « finesse d’esprit » qui nous a valu les Contes en marge et les meilleures pages de France. Je connaissais les personnages évidemment mais j’ignorais cette coïncidence qui les fit vivre aux même cieux et dont tu tire si heureusement parti. Combien s’éclaire à ce jour l’inquiétude du dieu favorable à unir Euphorion et la sirène ; il n’était pas très sûr, dit Jules Lemaître, d’avoir fait leur bonheur. Moi-même à mon rang je n’ai point voulu dire autre chose lorsque je fais rêver Cyrano marié à « ces rêves, qui durent n’être que des rêves, et ne connurent point de lendemains. » Ce trait de caractère de Lemaitre que j’ignorais, – son mariage d’amour – me confirme dans mon idée qui m’est chère c’est que le seul scepticisme qui nous attache est un idéalisme désabusé. Je hais le scepticisme satisfait, celui qui n’est pas un regret. Son rire lourd et copieux m’horripile. Je le hais, ce profiteur, carré dans son fauteuil, le cigare aux lèvres et qui trouve las autres « bien bêtes. ». Il ne profère que des platitudes. Dans tout sceptique qui nous retient il y a un ange déchu; toujours la nostalgie d’une terre promise dans son désenchantement. Il faut avoir marché sur les sommets pour savoir qu’on marche dans la vallée. Ceux qui n’en sont jamais sortis, ne sauront jamais bien qui ils sont.
Sil m’arrive un « Petit catalogue pour servir de guide à travers l’oeuvre d’Anatole France, à Paris, chez … proche le … » je ne manquerait pas de le dire. En attendant les haies s’étoffent au long des champs et les pommiers fleurissent contre les toits; les arbres … sur le ciel leurs arabesques pour les brouiller ensuite en un nuage de verdure, et de la terre monte de l’universel foisonnement où les … de l’hiver, prises jusqu’à mi corps comme dans un écrin , reposent. C’est notre 5ème été de guerre ! …
Je suis à toi de cœur
Guy