Mot du Général Joostens
le 6 mars 1918

Retranscription du texte original :

Rico de Schoutheete s’est comporté en « héros » lors des récentes prouesses de notre cavalerie. Je voudrais que tu dises mes plus enthousiastes félicitations à Cécile. Elle peut être infiniment fière de son fils. Général Joostens

«… il participe aux opérations de la défense de Namur, puis à la tragique retraite de notre IVème division d’armée par Mariembourg, Laon, Coulommiers, jusqu’au Havre, où ses escadrons s’embarquent pour rejoindre Anvers; via Zeebrugge»

L’article du « Pourquoi Pas ? » fait allusion au au sort hors du commun mais méconnu de la 4ème Division d’Armée belge dont Guy faisait partie et dont la mission était de défendre Namur. Celle-ci défendit admirablement Namur mais dut céder à la pression de l’ennemi.

Rico n’évoque qu’une seule fois cet épisode  de guerre en ces termes :

« Le 25 août nous effectuons une première sortie d’Anvers en direction de Haecht et de Louvain et, après un combat du côté de Tremeloo nous rentrions à Wijnegem le 27 août pour apprendre que la 4ème Division avait rejoint l’Armée Belge à Anvers, venant de Namur via la France.
Mon frère Guy revenait donc au pays après une odyssée peu banale. »

Trajet de la IVème division (15.000 hommes) pour quitter Namur et rejoindre le gros de l'armée à Anvers.

Je reprend à Monsieur Bernard Delhaye la synthèse ci-dessous de ce qu’on pourrait appeler une épopée :

« La 4ème division d’armée belge, sous la pression des armées allemandes, bat en retraite depuis Namur dans les rangs de la Vème armée française.
24 août 1914: Le général Michel, en contact avec les troupes françaises, se dirige vers Mariemboug en quittant Rosée.
Les troupes belges, unités mélangées et se trouvant souvent privées d’officiers, vont se glisser entre le Xème et le Ier corps d’armée française et parviennent à destination au soir. Une partie est évacuée en train vers Couvin. 25 août 1914: Les allemands arrivent et il faut reprendre la route au plus vite pour éviter la captivité.
On se dirige vers Auvillers-les-Forges en France. Cela fait 6 jours de combats, de marche, sans quasi aucun ravitaillement ni sommeil.
Mais les troupes repartent, protégées par le 121ème régiment français qui va contenir les assauts de l’ennemi jusque 17 h.
Les colonnes belges arrivent en soirée à Eteignières et certaines devront pousser jusqu’Auvillers; elles y reçoivent un demi-pain français par homme.
Pourtant à Anvers des troupes belges font leur première sortie et bousculent des troupes allemandes qui doivent appeler des renforts pour faire face. Les combats dureront deux jours puis les belges se replient sur le port.
26 août 2014: L’ordre est donné de se diriger vers Liart pour embarquer dans des trains. Sur les 38.000 hommes de la 4ème D.A., seuls 15.000 se sont échappés du piège de Namur et des embûches de la retraite. Le général Michel, à travers la chaîne de commandement français, a pris contact avec les autorités belges qui demandent un retour des troupes en Belgique.
Un voyage en train est organisé jusque Le Havre et Rouen, puis en mer vers Ostende et Zeebruges, pour aller soutenir les troupes d’Anvers à Kontich
Bernard Delhaye »

Guy revenait donc de ce « Grand Tour ». Cette retraite à pied de près de 100 km est devenue de nos jours une randonnée touristique.

Le général JOOSTENS

Article paru dans le « Pourquoi pas? » du 13 mars 1925


L’attaché militaire, a-t-on dît, c’est un espion officiel. (…) Mais, entre la France et la Belgique, ce n’est pas la même chose. La fraternité d’armes 1914-1918 a tout de même créé des liens qui ne sont pas oubliés. De plus; il existe; entre les deux pays, un pacte militaire défensif qui consacre des intérêts communs. Aussi, l’attaché militaire de France en Belgique et l’attaché militaire belge à Paris ne sont-ils pas des espions officiels, mais de véritables agents de liaison.
Autant le général Joostens serait mal adapté à l’autre rôle, autant il est fait pour remplir celui-ci. Il n’était pas question d’envoyer de Belgique un technicien chargé de surveiller l’armée française, mais de donner mission à un militaire brillant de faire aimer et admirer l’armée belge. Or, personne n’était plus qualifié pour ce rôle que le général Joostens, D’abord, parce que c’est un homme aimable, ensuite, parce que c’est un glorieux soldat, un de nos plus glorieux soldats. Ce militaire de salon, cet officier diplomate s’est conduit, pendant la guerre, comme un véritable héros. Il ne le raconte jamais, c’est pourquoi, il faut bien que nous le racontions pour lui.

Rien de plus éloquent que ses états de services.
Né en 1864, à Anvers, Joostens entre à l’École militaire en 1883, d’où il sort en 1885 comme sous-lieutenant de cavalerie, arme où se passera la majeure partie de sa brillante carrière. C’est le vrai type du cavalier, du reste, au physique comme au moral, allant, énergique, audacieux, toutes qualités qui font de lui, pendant la guerre, un entraîneur d’hommes remarquable et un chef de tout premier ordre.
Promu lieutenant en 1891, capitaine en 1899, il appartint d’abord à un de nos régiments de Guides. Il se présente à l’École de Guerre et en sort breveté d’état-major, pourvu de notes brillantes. Nommé major en 1911, il est attaché à l’état-major de l’armée ; c’est dans cette situation qu’il se trouve au moment où la guerre éclate.
Mais ce cavalier n’était pas homme â faire la guerre dans un état-major. Dès le 1er août 1914, il rejoint, à sa demande, le 1er régiment de Lanciers ; auquel il est affecté et y prend le commandement, d’un groupe, avec lequel il participe aux opérations de la défense de Namur, puis à la tragique retraite de notre IVème division d’armée par Mariembourg, Laon, Coulommiers, jusqu’au Havre, où ses escadrons s’embarquent pour rejoindre Anvers; via Zeebrugge.
En septembre, le major Joostens est mis à la tête du ler Lanciers ; chargé, avec la division dont il fait partie.de couvrir, notamment, les communications de l’armée entre Anvers et le littoral, puis la retraite de nos troupes vers l’lYser, son régiment se distingue par la vaillance avec laquelle il défend le pont de Schoonaerde, sur l’Escaut, puis le passage de Selzaete, enfin les avancées de Dixmude, au moment où commence l’immortelle bataille de l’Yser.
Promu lieutenant-colonel en novembre 1914, il est décoré peu après des mains du Roi et cité pour la première fois à l’ordre du jour de l’armée: « Depuis qu’il en a pris le commandement, le lieutenant-colonel Joostens a conduit le 1° Lanciers avec vigueur au feu et dans les reconnaissances, donnant l’exemple de la hardiesse et de la décision, stimulant ainsi l’ardeur et la bravoure de ses hommes. »
Promu colonel en avril 1915, puis général à la fin de 1916, il est désigné successivement pour commander une brigade d’infanterie, puis la 1ère brigade de cavalerie.
Au début de 1918, au moment où nos divisions d’armée sont réorganisées, le Roi confie au général Joostens le commandement de la IIIème division d’infanterie, dont font partie les célèbres 9me, 11ème et 12ème de ligne, anciens régiments de Jacques et de Meiser, qui se sont couverts de gloire déjà à Liège, à Anvers et sur l’Yser.
Les événements ne vont pas tarder à permettre au général Joostens de donner, à la tête de ces troupes, la pleine mesure de sa valeur de chef.
Le 17 avril 1918, en pleine offensive de Ludendorff, alors que sa division occupe le secteur de Merckem, l’ennemi, puissamment renforcé, tente de percer le front belge pour tourner l’aile gauche de l’armée d’Ypres et mettre ainsi en mortel péril, l’armée britannique, ainsi que la nôtre, en les coupant de Calais.
La division du général Joostens supporte héroïquement le choc de l’adversaire, dirigé principalement sur le 9ème de ligne, qui résiste magnifiquement, puis contre-attaque avec l’aide d’autres éléments, et inflige finalement à l’ennemi une cuisante défaite. Sur les 800 prisonniers que nos troupes font ce jour-là, 600 s’inscrivent au tableau de la division commandée par le général Joostens.
Quand le Roi apprit cette victoire, qui était une vraie victoire, et qu’on lui parla de 7 à 800 prisonniers, il eut quelque peine à y croire. « Il doit y avoir un zéro de trop », dit-il. Mais, quelques heures plus tard, la victoire de Merckem était pleinement confirmée et elle apparaissait à toute, l’armée comme un magnifique présage.
Et, en effet, l’heure de l’offensive libératrice devait bientôt sonner et, dans la part qu’elle y prit, la Illème division d’infanterie devait se couvrir d’une gloire nouvelle en enlevant d’un seul bond, d’abord, les formidables positions allemandes du Stadenberg, puis en exécutant, au cours de la deuxième phase de notre attaque, la victorieuse poussée qui conduisit nos troupes sur la rive gauche de la Lys.
Ces faits d’armes ont valu au général Joostens les plus belles distinctions et des citations magnifiques. Bornons-nous à reproduire celle qui accompagne la décoration de l’ Aigle Blanc de Serbie, qui lui est décernée au lendemain de l’armistice:
« Commandant de division d’infanterie d’un enthousiasme entrainant, dont les troupes avaient déjà donné, le 17 avril 1918, la mesure de leur valeur militaire en infligeant un échec sanglant à une attaque allemande; a dirigé, avec autant de talent que de fermeté, deux offensives successives, enlevant à l’ennemi, au cours de ces actions, 48 canons et 1,525 prisonniers. »
Dans d’autres pays, on aurait donné à ce général, vainqueur, un titre et une dotation. Ici, on se contenta de le faire monter en grade. Commissionné lieutenant-général en 1919, Joostens fut définitivement promu à ce grade l’année suivante et se vit confier les fonctions, d’ailleurs brillantes, d’attaché militaire près l’ambassade de Belgique, à Paris.

Et voilà ! Que pourrait-on ajouter à cette page militaire ? Tout le monde sait qu’à Paris le général Joostens iouit d’une universelle sympathie, qu’il est lié par des liens d’estime professionnelle et d’amitié avec tous les grands chefs de l’armée française, que la société parisienne lui fait fête ainsi qu’à la générale Joostens, qu’il sait faire travailler ses services comme s’il était encore à la tête de sa division, bref, qu’il est l’as des attachés militaires. C’est assurément un bon métier, mais nous croyons savoir que, dans cette existence paisible et brillante, il arrive au général de songer avec mélancolie au temps où il commandait à ses « jass » sous le feu de l’ennemi.
C’est qu’il est d’une famille guerrière. Bien. qu’issus d’une longue lignée de commerçants anversois, tous les Joostens sont toujours prêts à se faire trouer la peau au service de l’État. Le frère aîné du général, ministre à Pékin en 1900, au moment de la révolte des Boxers, défendit sa légation le fusil à. la main, avec un calme, un sang-froid et un courage qui firent l’admiration de ses collègues: ce diplomate se révéla soldat. Son frère cadet, le colonel Hippolyte Joostens se conduisit, pendant la guerre, comme un héros de d’Esparbès. Nous raconterons un de ces jours les exploits de cet artilleur de la grande armée. Ils ont ça dans le sang, les Joostens, comme d’autres ont dans le sang de « faire » des dollars …
LBS TROIS MOUSTIQUAIRES.

Général Joostens Pris en photo par Rico en 1918